Le saut

Décollage

Tu montes dans l’avion et les portes se ferment et les toboggans s’arment et le monde se réduit à quelques hublots, quelques écrans, et tu ne sais pas, non, vraiment pas ce qu’il y aura de l’autre côté. Tu as vu des images, feuilleté un guide peut-être, mais tu n’as pas respiré l’air qu’il y a de l’autre côté. Tu n’en as pas foulé la terre. Tu n’en as pas goûté la bière. Tu n’en connais rien de valable. Et tu quittes les tiens pour ça, pour cette ombre, pour ce rien. Tu as déjà dit au revoir à tout ce que tu connais. Tu es un être en suspension.

Voilà peut-être pourquoi, alors que tu boucles ta ceinture, tu te rappelles soudain les mois qu’il a fallu à ta fille pour apprendre à sauter : se risquer à décoller du sol les deux pieds en meme temps, se soustraire à la gravité — et s’exposer à la chute. Voilà pourquoi tu as peur. Et aussi pourquoi soudain tu te souviens de son rire, la première fois qu’elle a osé, de sa joie incrédule devant le miracle accompli.

Tu sais que tu auras le même rire, plus tard, les fesses posées dans ton premier tuk-tuk, le museau fouetté de poussière et d’air chaud. D’être encore là, de l’autre côté, plus vivant d’avoir sauté.

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