A Angkor

Loin du boulot, de l’appartement désert que j’occupe ces jours-ci à Phnom Penh, du nouveau nid français que nous avons passé les vacances à bâtir, je visite enfin Angkor.

Il y a une frustration inhérente à la découverte de ces temples. C’est qu’il faudrait des semaines à détailler ces grandes cascades de pierre qui coulent du ciel sans désordre, toutes bardées de Bouddhas et de dieux hindous. Il faudrait pouvoir arpenter sans fin leurs vieilles allées, débusquer tous les Vishnou sous les racines des fromagers, s’asseoir des heures à l’ombre d’un gopuram, armé d’un bon bouquin et d’une glacière pleine d’eau fraîche. Lâcher prise, fermer un œil et se laisser doucement traverser par les milliers de fantômes qui hantent la place, dieux et danseuses, rois et nagas, cochons, porteurs de lances et porteurs d’eau. Comment ne pas prendre le temps dans un endroit qui attendait ta visite depuis mille ans ?

Il y faudrait des mois et je n’ai que deux jours, un tuk-tuk neurasthénique et un guide francophone, lequel compense quelques lacunes scientifiques par une haine volubile du voisin Vietnamien. Je mets un point d’honneur à ne pas régir à ses envolées xénophobes. Du reste, moi, mon souci, ce serait plutôt les Chinois.

C’est que passée la barrière de l’enceinte d’Angkor, les touristes Chinois sont tes pires ennemis. Bardés de smartphones, de GoPro et d’objectifs plus gros que des bazookas, ils se selfitent à qui mieux mieux en gros troupeaux bruyants. Ils gueulent comme des putois, bouchent les passages étroits ; ils te poussent sans ménagement pour avoir un meilleur angle sur leur rombière qui pose en ticheurte Mickey, avec des moues de canard, sous un Shiva en majesté. Ils sont presque aussi inconvenants qu’un garçon de café parisien.

Bref. Grâce aux ruses du gars Vannak, nous contournons habilement les troupeaux de Chinois.

Dans l’après-midi, quand le soleil et la faim ont raison de ma curiosité, nous prenons le chemin du retour par la vaste allée forestière qui relie Angkor à Siem Reap. Tout un petit monde s’affaire le long de cette route encombrée comme un dimanche de vacances, vendeurs de brochettes ou de paniers, de peintures criardes, de bananes, de sucre de palme, d’artisanat un peu foireux. Yes Sir Hello Sir You Buy From Me Sir I Give You Good Price. Il y a un contraste étrange et délicieux à rouler au milieu de leurs villages de tôle et de tissu, laissant dans notre dos les splendides palais de leurs ancêtres. Je me rassure à leur échelle plus modeste, aux articles bien terrestres sur les étalages de bric et de broc. Le soleil descend, la chaleur baisse, je compte mes ampoules aux pieds. Sur les tours du Bayon, les visages du Bouddha confient aux quatre vents que la roue tourne, que tout est très bien ainsi. Leurs yeux fermés parlent d’éveil. Ils sourient mystérieusement.

 

Une réflexion au sujet de « A Angkor »

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *