Elégances

Chez Maman Ro, c’est une maison ceinturée d’un petit jardin, qu’éclairent quelques lanternes sur des tables métalliques. Des bananiers, des manguiers, des safoutiers surveillent l’ensemble dans un silence recueilli.

Elle vient à notre rencontre devant son restaurant, ample, souriante, sobrement mais joliment habillée. Nous installe et nous apporte à boire, puis s’assoit à notre table avec le plus grand naturel du monde pour discuter du menu. Il n’y a pas de carte ; le plat du jour est le même tous les jours : salade de moringa – plante médicinale aux trente vitamines et trois cent vertus ; likou grillé en sauce blanche ; brochettes de bœuf ; bananes plantain.

La commande passée, elle part lancer le dîner, s’affaire une demi-heure, puis revient avec les plats. Il n’y a pas d’autres clients alors elle se rassoit. Elle évoque Kin et Brazza, le Congo, l’Europe, la guerre civile, les plantes et la modernité, s’interrompant de temps en temps pour vérifier qu’on mange bien tout. N’allez pas croire qu’elle s’impose, non : elle reçoit. Comme si elle n’avait attendu que nous. Avec un naturel, une bienveillance, une élégance simples que je n’avais jamais vus ailleurs.

A la fin du  dîner, elle nous raccompagne. Elle fait quelques pas avec nous dans la rue puis nous embrasse. On s’en va en pensant à la Jeanne de Brassens, qui lui ressemble.

Le reste du week-end est consacré à la chasse au sapeur.

Les sapeurs s’appellent comme ça parce qu’ils appartiennent à la Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes. Pour ces congolais, kinois, brazzavillois ou exilés à Paris, se fringuer est un art de vivre et une philosophie. Aussi, sur le site d’un des représentants de la confrérie, peut-on lire ces mots sublimes : « Le sapeur est avant tout narcissique, boudeur, pompeux, idéaliste et sophiste ». On voit par là qu’il a aussi le sens de la formule.

A la recherche de ces fous merveilleux, de rencontre en rencontre, nous suivons comme dans un jeu de piste les lieux qu’ils fréquentent, avec un succès relatif : la belle saison des sapeurs, c’est le mois d’août, quand les parisiens redescendent au pays avec dans leurs bagages des kilos de costumes de marque et de pompes Cuir Véritable.

C’est finalement à la Main Bleue que nous croisons la route de quelques sapologues. Ils ont un costume impeccable, une chemise impeccable, des pompes de luxe, et une cravate coordonnée au petit mouchoir qui sort de leur poche ; petite explosion de couleur sur le classicisme de l’ensemble. On ne voit pas leurs chaussettes mais on sait qu’elles sont, elles aussi, à l’unisson. Ils se succèdent sous l’objectif d’un photographe, dressés comme des coqs de combat, une jambe fièrement projetée vers l’avant, une main qui remonte le pantalon pour mettre en valeur la basse croco. Puis ils dansent, avec classe, ostentation et modération : une danse qui se regarde danser.

Je les trouve profondément touchants. Ils promènent leurs costumes Pierre Cardin dans la touffeur des avenues comme s’il ne faisait même pas chaud, comme si les baraques décrépites étaient des hôtels particuliers et les gamins de la rue des photographes de mode. Ils marchent comme si la ville était à eux et la ville, en retour, les regarde. Sophistiqués, superbes et généreux, ils écrasent dédaigneusement la bouillasse et les préjugés sous la semelle de leurs Weston. Ce n’est pas un bras d’honneur au destin : c’est l’orner d’une cravate de soie, ce qui est à la fois plus difficile et plus beau.

Assis avec ma belle derrière une bière Ngok, je les regarde sans fin avec un amusement mêlé d’admiration. Je ne sais ni danser ni même marcher convenablement ; je ne maîtrise aucune des subtilités de la Trilogie des Couleurs ; ma fringue la plus originale est un boxer short gris. Soudain, dans mon bermuda poussiéreux, je me sens fruste, presque vulgaire.

L’Afrique, décidément, a des élégances qu’on ne sait pas assez.

5 réflexions au sujet de « Elégances »

  1. Sans faute, je transmettrai ce billet (de bonne) humeur à la plus célèbre des mamans de Bacongo pour ne pas dire du Congo, Toinette n'a qu'à bien se tenir !

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