Un autre jour, un autre enfant.
Celui-ci a peut-être quatorze ans. Il est allongé de tout son long au milieu du trottoir d’une des principales avenues d’Addis Abeba, les bras le long du corps. Sa carcasse mince est raidie et secouée de convulsions, ses yeux sont révulsés. Il va mal.
Mais rien n’est plus frappant que la façon dont la vie continue autour de lui. Les voitures défilent en vrombissant, les minibus klaxonnent, les marchands crient, les mendiants prient, les petits ânes charrient leur fardeau. Par terre, comme dans un monde parallèle, le gosse grelotte. Simplement, les gens qui passent à côté de lui baissent la tête et le regardent en ralentissant un peu. Ils constatent puis continuent leur route : étrange gravité, qui courbe les trajectoires des passants mais ne les arrête pas.
Me voilà à genoux à côté du gosse, tout à fait inutile, tout à fait impuissant. Les gens maintenant s’arrêtent autour de nous (on appelle ça un blanc catalytique) et nous considèrent dans un silence bovin. Le visage levé vers eux, j’évoque l’hôpital mais apparemment cela n’est pas dans les mœurs. On ne l’aurait probablement même pas pris en charge… et puis, pendant ce temps, le petit s’est réveillé. Il se redresse avec difficulté, avec une lenteur effrayante, hagarde, un mouvement à vous arracher le cœur. Ses yeux sont revenus à leur place, et on voit maintenant qu’il est beau.
Il murmure en amharique des phrases incohérentes. Un vendeur de DVD pirates me fait comprendre dans un anglais haché qu’il est orphelin et fou. Quelqu’un lui donne un jus d’orange qu’il avale d’un trait avant de se lever péniblement, puis de s’éloigner en boitillant, le visage hébété.
Dix minutes plus tard, je suis assis dehors, sur le muret qui ferme le parking du supermarché. Je pense au gosse, à la férocité de son sort, à notre indifférence de vivants. C’est à ce moment-là que je le revois : il clopine en silence dans ma direction, se rapproche doucement, puis s’assied juste à côté de moi. Il ne dit rien. Il est juste là. C’est un moment doux et cruel.
Alors je dépose sur ses genoux un pain que je viens d’acheter, monte en voiture, démarre le moteur, lui fais un signe de la main. Il me répond. Je m’en vais. Je l’abandonne. Je me sens un peu sale.
Vous êtes sûrs que Dieu ne boit pas ?
Rien a dire ; je pourrais avec la grosse boule qui me serre la gorge
Zut, il manque un pas
même boule à la gorge pour moi…ce genre de situation c’est l’essence même de tous les questionnements qui me hantent ici.
… Silence lourd de culpabilité inutile
elle est a toi cette chanson….. Ce n’était rien qu’un peu de pain
mais il m’avait chauffé le corps et dans mon âme il brûle encore
A la manièr’ d’un grand festin…….
C’est quoi les petites maisons sur la photo ?
Je ne sais pas… la photo est prise à la volée depuis un minibus. Probablement des poulaillers ?
Trop triste……..