Ce qui frappe d’abord chez Jupiter, c’est sa voix. Elle a le timbre grave, le grain terreux, les harmoniques d’outre-tombe d’un orgue d’église qui aurait fumé trop de gitanes. Un peu nasillarde dans mon téléphone, je l’écoute me donner rendez-vous pour nous rendre ensemble chez un luthier de la Cité nommé maître Soklo.
Le lendemain, lorsque j’arrive au lieu convenu, la voix trouve un visage, ou plutôt une silhouette. Jupiter n’a rien des rondeurs d’une planète. Il est haut, mince, raide, émacié, dégingandé : l’orgue a avalé un manche de contrebasse. Dans la rue, il marche un peu voûté en balançant les bras, avec cette assurance lente qu’ont les hommes très grands.
Quelques instants plus tard, plié en deux à côté de lui dans les transports, je récolte quelques bribes de son histoire singulière. Jupiter, fils de diplomate, a passé une partie de son enfance à Berlin-Est, 15 ans avant la chute du mur. Il faisait partie des quelques chanceux à pouvoir passer chaque matin de l’autre côté pour se rendre à l’école. Dans ces rues où les Noirs étaient rares, on l’appelait Neger. Ce sera le nom de son premier groupe.
Ensuite, il y a le retour à Kinshasa, les premiers orchestres, les galères, la guerre civile qui éclate alors que la chance lui sourit enfin*. Une histoire longue et tourmentée comme la RDC sait les fabriquer. Aujourd’hui, Jupiter joue avec une formation de musiciens des quatre coins du Congo qu’il a appelée Okwess International. Sa musique est un melting pot bizarroïde qui contraste radicalement avec le ndombolo très formaté des ténors de la scène kinoise : elle lui a valu le surnom (peut-être auto-attribué ?) de Général Rebelle.
C’est un homme de théories. Au fond de notre taxi antédiluvien coincé dans les embouteillages, il disserte. « Je ne compose pas », dit-il. « Assembler les notes les unes avec les autres en essayant de les faire sonner, ça c’est bon pour les musiciens. Moi, je suis un artiste. Les chansons me viennent comme ça. Elles ont toujours existé, elles ont toujours été là. Je les attrape, et puis il n’y a plus qu’à les arranger un peu. »
Ou encore : « Je suis le vent. Celui que tu inspires et que tu expires et celui qui détruit les maisons. Je n’ai pas de pays. Je me fous de l’argent. Je suis immatériel. On ne peut pas m’attraper. Au fond, je suis Dieu. »
C’est un personnage étonnant, éloquent, grandiloquent. Comme beaucoup de ces artistes kinois qui se tiennent à l’écart des sentiers battus, il mène une vie intensément poétique au fond de la ville la plus triviale qui soit. Comme eux, il a les pieds dans la bouillasse et la tête dans les étoiles. Comme eux, il peine à joindre les deux bouts mais il n’en démord pas. C’est qu’ils ont de bonnes dents, les artistes kinois.
* Il y a un peu de tout cela dans l’excellent documentaire La Danse de Jupiter, que je ne saurais trop conseiller à ceux qui ont aimé Staff Benda Bilili : ce sont les mêmes réalisateurs.
Il a l'air sympa…..total à l'ouest…..tu l'invites à ton mariage ?
la vie d'artiste semble être la même partout au monde: La société rejette ces artistes dont ils en ont le plus besoin. Je serais curieux d'entendre ce qu'il a produit récemment….