A Dakar. 20 heures, brise de mer, nuit toute fraîche encore. Je rentre du boulot.
Tous les hôtels étaient pleins ; il m’a fallu faire confiance à la belle Fatou, qui tient la réception de ma piaule habituelle et qui a promis de me trouver un endroit où dormir. J’ai peut-être eu tort… Pour deux jours, elle m’a détourné sur l’hôtel du Magic Land.
C’est un parc d’attractions blotti au bord de l’eau, en pleine ville, sur une petite excroissance de terre. On y entre par une arche pratiquée dans un haut mur de pierre, sur le côté de laquelle un palmier en plastique clignote en jaune et rouge. Face au palmier, un fantassin du Moyen Âge est figé dans une posture belliqueuse. Entre l’arbre et le soldat, un garde en uniforme roupille sur sa chaise. Ce n’est pas un mannequin : il ronfle.
J’entre. Des hauts parleurs braillent de la soupe américaine sur un parc sans visiteurs. Il y a là une pas-très-grande roue, quelques manèges inanimés, un train fantôme, un tir de foire vide, ses cibles en carton alignées sur un côté. Tout brille, rien ne bouge, l’endroit est mort-vivant. Dans un coin du parc, deux chameaux encagés mâchouillent le vent du large avec des yeux de fille de joie neurasthénique. A côté d’eux, un petit singe pelé est accroché par une laisse au moignon d’un arbuste. Je croise enfin, sur mon chemin, le génie bleu des Mille et une Nuits. Son sourire figé me paraît cacher une dépression profonde.
Ce désert de plastique coloré m’est soudain insupportable. Pourquoi tous ces mannequins blafards alors que les sénégalais sont si beaux ? Pourquoi ce R&B débile au pays du Mbalax ? Pourquoi ces Mickeys tristes plutôt que les contes merveilleux dont les gens ont ici le secret, pourquoi ce parc qui pue la mort quand les rues de Dakar sont si vivantes ? Est-ce là ce à quoi rêve l’Afrique ?
J’en suis là de mes réflexions quand je vois sortir de l’hôtel un couple de sénégalais accompagné d’une petite fille. Ils ont l’air heureux, ils ont le parc pour eux. La petite, qui tient dans sa main une glace rose fluo, a les yeux aussi brillants que les guirlandes autour d’elle. Elle rigole. Les mannequins glauques, les animaux pelés n’ont rien de mélancolique pour elle ; ils lui parlent d’aventure, d’exotisme, de merveilleux. Elle est au paradis.
Ils s’en vont faire un tour sur le génie d’Aladdin. Je me retourne, les regarde s’éloigner. Le djinn bleu vers lequel ils se dirigent n’a plus l’air dépressif. Il m’adresse un clin d’œil moqueur. Je me sens un peu con. Tout est question de regard.
Le lien avec la tour Eiffel enloupiottée ??
C’est comme tout le reste : ça fait rêver.
Pas plus qu’à Disneyland ça donne envie d’y aller, mais tout dépend avec qui.